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Colloque Agriculture, alimentation et territoires
Actes du colloque « Agriculture, alimentation et territoires. Réévaluer les systèmes de production et les politiques publiques en agriculture »
Mardi 22 octobre 2013, près de 170 personnes, représentant près de 50 organismes, ont assisté au colloque « Agriculture, alimentation et territoires » organisé à l’Assemblée nationale à l’initiative d’InPact et du groupe PAC 2013, et avec le soutien des député·es Dominique Potier, Brigitte Allain, Jean-Luc Bleunven, Bernadette Bourzai, André Chassaigne, Gérard Le Cam, Joël Labbé, Christian Paul, Germinal Peiro.
Captation sonore des interventions en ligne sur le site Archive.org.
Introduction du colloque - Jean-Claude Balbot pour le Pôle InPACT
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Après un rappel sur la nature du Pôle InPACT et l’importance donnée par ses membres aux principes de l’éducation populaire, il fait état de l’obsolescence des outils d’évaluation de la viabilité de l’agriculture aujourd’hui (EBE, etc.) et pose le sujet du jour : comment produire / élever autrement si on n’évalue pas autrement ? La PAC et les politiques nationales sont aujourd’hui peu efficaces, peu efficientes, peu cohérentes avec une compétitivité seulement établie sur le principe d’un moindre coût du travail plutôt que sur la valorisation d’une valeur ajoutée (VA) qui tiendrait compte de la quantité de travail, de la qualité des produits, etc. Quatre orientations ont guidé l’organisation de ce débat :
- S’écarter de l’approche par la productivité physique du travail pour mettre en valeur la valeur ajoutée.
- S’écarter d’une évaluation confinée à deux domaines de productions, les grandes cultures et les élevages de ruminants, pour prendre en compte la diversité des systèmes de production.
- Évaluer le rôle des firmes agroalimentaires dans l’orientation des exploitations.
- Évaluer l’impact des politiques publiques sur la dynamique des systèmes de production.
Intervention de Sophie Devienne, professeure à AgroParisTech : Pour une autre évaluation des systèmes de production agricole
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Sophie Devienne dresse le bilan de soixante ans de développement agricole en France. Elle montre que la révolution agricole qui s’est déroulée depuis les années 1950 a été basée sur l’augmentation de la productivité physique du travail, c’est-à-dire du volume produit par actif. Cet accroissement a été permis par la spécialisation des systèmes de production et par un recours toujours accru aux consommations intermédiaires et au capital fixe par actif, évolution qui pose problème aujourd’hui pour la transmission des exploitations. La politique agricole a joué un rôle important dans ces transformations en assurant, jusqu’à une période récente, la garantie des prix et la sécurité des investissements. L’augmentation de la productivité du travail a été plus rapide dans le secteur agricole que dans les autres secteurs de l’économie depuis les années 1950. Cette évolution a eu pour conséquence une baisse importante des prix des produits agricoles, plus rapide que celle des consommations intermédiaires et des biens d’équipement. Au total, en monnaie constante, la valeur ajoutée et le revenu d’entreprise de la branche agricole ont diminué de 60% depuis 1970. Le revenu agricole par actif se maintient grâce à l’érosion continuelle des actifs agricoles. Le développement agricole depuis les années 1950 a donc pour conséquences la diminution de la valeur ajoutée et la baisse de l’emploi agricole, qui s’accompagnent de l’accroissement des inégalités régionales de développement. Ce mouvement a toutes les chances de se poursuivre car il reste d’importantes réserves d’accroissement de la productivité physique du travail. Pour sortir de cette évolution, un changement de paradigme est nécessaire : privilégier l’accroissement non pas de la productivité physique du travail mais de la productivité économique du travail, c’est-à-dire de la valeur ajoutée par actif, en réduisant les consommations intermédiaires et le capital par actif agricole. L’agroécologie, qui repose sur les processus biologiques plutôt que sur l’utilisation des ressources fossiles et sur une démarche systémique donne des résultats intéressants sur le plan économique (maintien de la valeur ajoutée et de l’emploi, sans différentiel de prix des produits agricoles) et environnemental comme le montre l’exemple des systèmes herbagers.
Intervention de Gilles Bazin, professeur à AgroParisTech : Des objectifs pour une véritable réforme de la Politique agricole commune (PAC)
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Gilles Bazin dresse un bref historique de la PAC, car les systèmes productifs actuellement dominants en sont directement issus. Il conclut que la nouvelle PAC, qui va dans le sens d’un rééquilibrage des soutiens de l’ordre de 1 milliard d’euros, est insuffisante pour inverser durablement les tendances lourdes de l’intensification, de la restructuration, de la perte d’emplois et de valeur ajoutée, de céréalisation des systèmes, etc. Il précise que la PAC mobilise des moyens très élevés (11 milliards d’euros) qui autorisent des marges de manœuvre plus importantes dans l’allocation des soutiens. Après avoir présenté l’importance des aides directes dans la formation des revenus, il conclut que le plafonnement des aides par actif ne peut, à lui seul, réduire suffisamment les disparités de revenu et qu’il faut mettre en œuvre des soutiens « anti-crise » ; flexibles et modulables en fonction de la situation économique réelle des filières. Une solution possible serait de développer des soutiens contracycliques, couplés aux prix et/ou au revenu dans chacune des filières. Le droit à paiement unique (DPU) étant une aide au revenu, cette aide devrait évoluer en fonction de l’évolution des revenus et donc des prix, avec une modulation en fonction de l’emploi généré sur l’exploitation. En parallèle, il considère que la politique agricole française a (depuis les années 60) créé des outils économiques, fonciers, de soutien à la qualité et à la multifonctionnalité, qu’il s’agit de conforter et de renouveler avec davantage de moyens à l’échelle individuelle et collective.
Table ronde
Animatrice : Aurélie Trouvé, maîtresse de conférences à AgroSup Dijon
Introduction de la table ronde
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Présentation des systèmes de production de trois agriculteurs, membres des réseaux InPact : Philippe Coutant, Olivier Izard et Quentin Delachapelle
Tous trois soulignent l’importance de l’accompagnement (à distinguer d’un conseil technique descendant), du collectif pour faire changer les choses, de l’éducation populaire, de l’approche territoriale plutôt que de filière, de la nécessité du décloisonnement, du travail avec d’autres acteurs du territoire. Tous trois avancent que plus de valeur ajoutée et donc de revenu suppose un bon produit et une maîtrise des charges donc une autre façon de faire. La transcription du « produire autrement » dans les politiques publiques impulsant des signaux concrets sur le terrain est peu visible pour l’instant. Or cette transcription est indispensable pour lever les freins au changement actuellement constatés. L’environnement et le social sont toujours vus comme des contraintes et des entraves à la libre concurrence dans un marché mondialisé ou l’on privilégie la compétitivité des filières plutôt que le développement équilibré des territoires pour lesquels ils seraient un atout.
Jean Pluvinage, ancien directeur de recherche à l’INRA : la dynamique des innovations
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Il existe des innovateurs en agriculture, à l’image des témoignages présentés ici. La question est de savoir comment favoriser l’expansion de ces innovations, pour qu’elles soient intégrées à la majorité de la production. Pour cela, il faut des conditions particulières : (1) une situation de crise qui va sensibiliser les producteurs à la nécessité de changer leur manière de produire, voire de système de production (2) il faut reconnaître socialement ces innovations comme légitimes et performantes, ce qui peut poser des problèmes sur la nécessité d’une évaluation renouvelée (3) une « destruction créatrice » (au sens de Schumpeter) pour « faire le ménage » et de fait créer un espace pour appliquer ces innovations. Ceci est l’affaire des producteurs, mais aussi des autres acteurs de la société (nouvelles exigences des consommateurs citoyens), et de fait des pouvoirs publics compte tenu de la place des financements publics dans une grande partie de l’activité agricole. Le renouvellement des systèmes de production par l’exemple de la réussite, avec beaucoup de ténacité de quelques producteurs "vertueux" et de leurs réseaux ne suffit pas, même si ce stade de l’expérimentation productive est complètement indispensable. Changer ne peut pas se faire sur la seule addition de nouvelles possibilités, mais exige des substitutions qu’il faut encourager, au détriment des manières de produire "conventionnelles".
Samuel Féret, animateur du Groupe PAC 2013 : l’intégration de l’environnement dans politiques agricoles
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Le propos porte sur l’intégration de l’environnement et dans la politique agricole commune. L’épisode de l’introduction du "verdissement" dans la Politique agricole commune est symptomatique de l’inadaptation des modes d’évaluation actuels. Pour beaucoup et pour la Commission Européenne/DG Agri elle-même, le verdissement a été évalué sous le prisme de la perte de revenu pour les agriculteurs -surfaces retirées de la production interprétée par certains comme un retour de la jachère ou maintien forcé des prairies permanentes par exemple. Le fait est que ces évaluations aujourd’hui ne prennent pas en compte les services éco-systémiques rendus et à rendre par les systèmes de production agricoles et encore moins la productivité des infrastructures agro-écologiques (éléments du paysage assurant des fonctions de régulation écologiques importantes pour la productivité agricole). Finalement, ces évaluations ne considérant pas l’environnement comme un facteur de production mais comme une contrainte, retardent l’adoption de pratiques agro-écologiques plus vertueuses.
Philippe Baret, professeur à l’université de Louvain : Évaluer pour choisir
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Face aux crises écologique, sociale et économique, il est nécessaire de faire des choix, de choisir un chemin. Évaluer c’est choisir. Comment choisir ? (1) être explicite sur les critères d’évaluation et bien valider leur pertinence par rapport aux trajectoires souhaitées, (2) être cohérent face aux enjeux, (3) faire l’évaluation avec les acteurs eux-mêmes et privilégier la diversité des acteurs, des savoirs pour avoir une diversité de réponses possibles face à l’incertitude. Même si les trajectoires et les pratiques pertinentes pour l’agriculture du XXIe siècle sont connues, leur généralisation est entravée par des éléments de verrouillages : (1) les savoirs : ils sont verrouillés selon des logiques disciplinaires et s’inscrivent souvent dans la continuité des solutions du XXe visant l’augmentation de la production sur bases d’intrants non renouvelables, (2) le sens : redonner du sens au métier d’agriculteur mais aussi à la notion de progrès. Si l’horizon est de répondre à des enjeux multiples, la notion de progrès sera redéfinie pour répondre à ces enjeux. Par une reconfiguration des savoirs, des discours et un rééquilibrage du soutien publique apporté aux différentes agricultures, il est possible de légitimer des acteurs aux visions nouvelles et des pratiques plus pertinentes. L’agroécologie n’est pas une question seulement technique d’agriculteurs et de pratiques (produire autrement). Elle engage aussi les chercheurs, les citoyens, les consommateurs, etc. Produire autrement ne suffit pas, il faut penser autrement agriculture et alimentation.
Débat avec la salle
Temps 1
Temps 2
Temps 3
Conclusion
Conclusion de Dominique Potier, député de Meurthe et Moselle
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